Cycliste par opportunisme d’abord, la pratique a fait de moi une cycliste par conviction. Venant de Strasbourg, une ville où le deux roue est roi, j’ai tout fait pour disposer d’un vélo à Rome, malgré les commentaires inquiets de mon entourage : « C’est du suicide ! » Après quatre jours de solitude dans une ville dominée par les voitures, j’ai découvert que faire du vélo peut aussi s’apparenter à jouer au kamikaze…
A Rome, faire du vélo, c’est rejouer au quotidien le combat de David contre Goliath. J’attaque pourtant sur ma belle bicyclette Violetta avec un nœud à la gorge dès que je dois utiliser ses freins peu serrés.
Premier constat : entre la gare Tiburtina et le centre historique, pendant trois bonnes heures de déambulations aléatoires, je ne croise aucun cycliste. Je finis même par m’inquiéter au point de les compter : moins de 20 en quatre jours ! J’ai d’abord pensé que circuler essentiellement dans le centre historique avait pu fausser les comptes. En effet, même si les bicyclettes sont tolérées dans les rues piétonnes du centre ville, on ne trouve pas de pistes cyclables sur les chaussées dédiées au trafic. Mais deux jours plus tard, dans les quartiers du Testaccio et de Trastevere, je découvre quelques (trop rares) pistes cyclables. Mais désertes, immanquablement désertes !
Même les bicyclettes municipales ont échouées
Il existe (existait ?) pourtant un système de vélos en libre service mis en place en 2008, qui aurait dû permettre de se familiariser avec la présence des deux roues. Mais curieusement les vélos sont généralement absents des stations prévues à cet effet. Le propriétaire d’une boutique de vélos croit savoir que les bicyclettes ont même été retirées des bornes. En cause, les interminables rebondissements qui sont venus troubler le processus d’attribution du contrat de gestion du système . Mais alors pourquoi reste-t-il quelques vélos en rade aux bornes ? Une chose est sûre : pour les conducteurs de motorini, ces bornes vélos vides sont une aubaine pour le stationnement !
Sur le point de perdre patience, je tombe nez à nez avec un groupe de touristes à vélo. Leur guide est hollandaise. Comme ses clients d’ailleurs. Ce sont les seuls à opter pour ce type de visites guidées « écologiques » et sportives. Etant donné leur pratique régulière du vélo, ils ne se laissent pas intimider par la réputation désastreuse du trafic local. Mais aucun d’eux n’en sait plus que moi sur les règles de circulation qui semblent inexistantes. Chacun à Rome a sa propre interprétation : Au « Oui, bien sûr vous pouvez circuler sur les pistes réservées aux bus et taxi » s’oppose le « surtout pas, vous y risquez votre peau, les bus et taxi ne sont pas prêts à partager leur espace avec vous, vous les retardez. »
Amorce d’une vélorution
Hormis ces Hollandais, je n’ai croisé des cyclistes qu’en pleine action et n’ai pas pu les héler par peur de les mettre en danger. Difficile donc de saisir le profil du cycliste romain : combien sont-ils (seulement 5000 aux dires du négociant de vélos), comment affrontent-ils la circulation chaotique ? Faire du vélo à Rome semble plus être une question de nécessité ou de militantisme qu’une pratique liée au plaisir de « bouffer du pavé ». Face à la piètre qualité des transports en commun dont ils se plaignent continuellement, les Romains adoptent deux postures : certains plient l’échine, d’autres font preuve de débrouillardise. En rejoignant par exemple une ciclofficina populare, où l’on s’équipe pour presque rien en récupérant une vieille carcasse de vélo que l’on apprend à retaper soi-même. Une initiative peu appréciée dans l’une des plus anciennes boutiques de vélos de la ville. Une bande d’ « anarchistes » qui ne respecte pas les règles basiques de sécurité, et qui, en organisant des opérations de critical masse « dérange et suscite donc plus de haine que d’admiration », dit-on. A l’inverse, chez un loueur de vélos qui organise également des visites guidées de la ville à deux roues, on ne craint pas la concurrence entre commerces et ciclofficine. « Plus on utilise le vélo, mieux c’est ».
Le cyclisme, nouvelle forme de rébellion sociale ?
Si la population reste récalcitrante à utiliser la bicyclette pour des motifs divers (poids des habitudes, ignorance, paresse, pollution, découragement et peur face au trafic), rien n’est fait pour les inciter à modifier leurs comportements et à privilégier des modes de déplacements plus respectueux de l’environnement. Tous mes interlocuteurs, sans exception, considèrent que la politique municipale de transport est inexistante. Et les rares initiatives dans ce domaine comme le projet bike-sharing ? « Greenwashing », me rétorque-t-on. Sans incitation venant d’ « en haut », les comportements ne sont pas près de changer, regrette un représentant de Cittalia, la fondation de l’association nationale des communes italiennes qui développe des études sur les thématiques urbaines. Et l’inertie politique en la matière n’est pas une question de couleur politique : « En Italie, l’environnement n’est toujours pas considéré comme une priorité ». A Rome, la pratique du vélo s’apparente donc à du militantisme. Rendons hommage aux courageux cyclistes romains, qui par leur usage assidu du vélo, et même s’ils n’en ont pas tous conscience, sont peut-être entrain de faire bouger les choses par le bas. Signe encourageant : dans un environnement pourtant hostile, (et même si ce n’est toujours pas visible à l’œil nu), tant les statistiques officielles que les chiffres des professionnels du vélo sont formels : le nombre de cycles en circulation n’arrête pas d’augmenter.