Alice Zeniter : la Hongrie, le masque et la plume

La rédaction
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Durée de lecture : 5 minutes

Sombre dimanche, le second roman d’Alice Zeniter, normalienne de 26 ans a de quoi mettre tout bon magyarophile en alerte. À raison. Le titre ne ment pas : l’intrigue a bien pour cadre Budapest, ses personnages principaux – les Mandy – sont hongrois. Quant à son auteure, elle a vécu près de trois ans à Budapest et vient de remporter le prix du livre Inter 2013.

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Sombre dimanche est une saga familiale qui démarre dans les années 70 pour prendre fin au lendemain de l’an 2000. Trois générations de Mandy (le grand père, le père, Imre – le fils, la fille et la mère) vivent comme cloués aux rails de la gare de l’Ouest (Nyugati pu.), dans une maison sur laquelle l’histoire s’acharne. Première et seconde Guerres mondiales, nazisme, communisme, stalinisme, kadarisme, libéralisme : 50 ans d’histoire magyare s’égrainent sous les yeux des lecteurs, au fil d’une plume parfaitement expressive, capable de susciter tout autant le rire que la pitié.

Les Mandy, « écrasés » par la fatalité, sont avant tout victimes d’une généalogie peuplée de non-dits et d’une histoire qui n’épargne rien à son peuple. Figure de proue du roman : le jeune Imre, baladé du COMECON (Conseil d’assistance économique mutuelle, ndlr) à Wall Street, de sex-hhops en photocopieuses, de Californienne fantasmée en divorce à l’allemande, fait figure de Candide « qui a perdu ses rêves de 89 ».

Alice Zeniter, enseigne aujourd’hui le théâtre à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, elle tire avec nous les ficelles de son dernier opus.

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D’où t’es venu l’idée de ce roman, pourquoi Budapest ?

« Quand j’ai commencé à dire que j’écrivais « un roman hongrois », les gens m’ont apporté pleins d’histoires venues de leur propre enfance »

Alice Zeniter : Je suis arrivée à Budapest par hasard, uniquement mue par le désir de quitter Paris. J’ai trouvé un poste de lectrice à l’Eötvös Collegium et j’ai pensé « Pourquoi pas ? ». Sur place, après un ou deux mois d’acclimatation difficile, je suis tombée amoureuse du Danube, des kert (des cours, ndlr) et de Freddie Mercury chantant « Tavaszi szél ». Le reste est une longue histoire d’aller-retours entre Budapest et Paris.

J’ai ouï-dire que dans ton premier roman, Jusque dans nos bras, Albin Michel (la maison d’édition française, ndlr) avait retiré furieusement toute allusion à la Hongrie, Sombre dimanche, c’est ta revanche ?

Alice Zeniter : Absolument. Puisqu’on ne voulait pas de mes paragraphes sur la Hongrie au milieu d’un roman qui se passait à Paris (ce que je comprends maintenant), j’allais consacrer trois cents pages à Budapest. Et hop.

Comment s’est déroulé le processus d’écriture, toi qui tu n’as jamais vécu les années que tu décris dans ton roman, comment en es-tu arrivée à dresser des portraits aussi minutieux et vraisemblables ?

Alice Zeniter : Je sentais que pendant ma dernière année à Budapest, j’avais tendance à me lancer dans de grands discours sur la mélancolie, l’humour hongrois et l’histoire du pays. Quand j’ai décidé de les mettre en forme dans un roman, j’ai pris des notes sur ce qui m’intéressait déjà (pêle-mêle : le Turul, le Danube, 1956, le suicide, Attila József – poète hongrois, ndlr -, et des chats). Puis j’ai lu des livres d’histoire en mâchonnant un surligneur pour assurer un peu mes connaissances. Et j’ai flâné dans Budapest. J’allais souvent à Petőfi Csarnok avec mon copain Lawrence ou avec mon ami Misi. On achetait de vieilles photos, de vieux missels, des boîtes d’allumettes… J’imaginais des bribes de vie en observant ces vieux objets. Quand j’ai commencé à dire autour de moi que j’écrivais « un roman hongrois », les gens m’ont apporté d’autres histoires venues de leur famille ou de leur propre enfance. J’en ai gardées certaines parce qu’elles me touchaient ou me faisaient rire.

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