Non, tous les rappeurs célèbres n’arborent pas des chaînes en or et ne s’éloignent pas de leur banlieue natale. Contrairement aux apparences, Sefyu vit toujours dans le 9-3 à Aulnay-sous-Bois et évite le milieu du show-business. En marge de la promo de son dernier album, il s’investit dans la vie des banlieues et se consacre à sa passion pour le football.
C’est au Zebra Square, restaurant situé en face de la Maison de la Radio dans le 16e arrondissement de Paris, que j’attends Seyfu avec mes confrères et consœurs journalistes. Intérieur chaleureux, lumière tamisée et musique d’ambiance nous font patienter confortablement. Sefyu est coincé dans les embouteillages. Il arrive une demi-heure en retard, affamé mais souriant et prêt à me consacrer un peu de temps. « Salut, moi c’est Sefyu, je suis à toi dans deux minutes ! »
Hors du rap business
Il montre rarement son visage, le plus souvent dissimulé sous sa capuche, son poing ou une casquette. Contrairement à ce qu’affirme une certaine encyclopédie en ligne, il ne se cache pas pour éviter que son père ne le reconnaisse, mais par respect pour ceux qui peinent à se faire connaître, pour faire comprendre que l’image que l’on dégage a peu d’importance : « Ce qui compte c’est le talent. »
« Sefyu », c’est Youssef en verlan. Youssef Soukouna, de son vrai nom, a pris ses premières marques dans le milieu du hip-hop français au début des années 90 au sein du groupe NCC (Natural Court Circuit). À trente ans, après Qui suis-je en 2006 et Suis-je le gardien de mon frère ? en 2008, il a sorti son troisième album, Oui je le suis, en octobre dernier chez Because music. Des titres comme « La Légende » et « La Vie qui Va Avec » imposent son style, agressif et ironique.
Sefyu affirme qu’il fréquente peu le milieu du rap. « Quand je suis arrivé, il y avait pas mal de copinages. Les artistes de rap avaient le pouvoir. Il y avait des chanteurs qui voulaient garder le business pour eux. » Il a pourtant collaboré avec des rappeurs à succès tels que Passi, Rohff et Sniper : « Ce sont de belles collaborations qui m’ont permis d’évoluer. » Le chanteur se retrouve également dans les paroles des précurseurs comme IAM, MC Solaar ou NTM. « J’étais en tournée avec NTM, ce sont de bons amis. »
Footballeur avant d’être musicien
Ancien espoir du football professionnel, Sefyu est arrivé à Londres à dix-sept ans et a interrompu sa carrière d’ailier gauche des Gunners d’Arsenal à la suite d’une blessure aux abducteurs. Il se consacre depuis à sa deuxième passion, le rap, qu’il avait cultivé parallèlement. Le jeune rappeur prend cette « reconversion imposée » comme un signe du destin. « Je ne me plains pas parce que j’ai la chance d’avoir eu la musique comme alternative. J’ai commencé très jeune à faire du rap, du chant, de la batterie. Mais, j’étais plus doué au foot qu’en musique », précise-t-il en riant. Aujourd’hui, le foot fait toujours partie intégrante de sa vie quotidienne. « Je regarde plus d’émissions sur le football que sur la musique et je passe ma vie dans les stades. Arsenal reste dans mon cœur, j’ai porté ce maillot avec fierté. »
Casser les préjugés sur les banlieues
Bien qu’il ait un disque d’or, une Victoire de la Musique en 2009, et de nombreuses tournées internationales à son actif, Sefyu habite toujours à Aulnay-sous-Bois, la ville dans laquelle il a grandi. Ancien éducateur, proche des jeunes issus de milieux défavorisés, il reste encore sensible aux thèmes qui touchent à l’immigration, l’identiténationale, le racisme, le communautarisme et la violence. Après avoir monté une société d’édition, il projette de créer une structure qui soutiendra les jeunes auteurs-compositeurs de banlieues. « Pour moi c’est stratégique de parler des banlieues. Les préjugés existent et existeront toujours. » Grandir en banlieue lui a permis de sortir plus « riche » de cet environnement et de côtoyer des gens de différents milieux. « Je suis allé dans une école en centre ville fréquentée par des élèves issus de différentes classes sociales. J’ai acquis une large culture musicale grâce à cela. Du reggae à la chanson française. À l’école, on chantait du Brassens, du Brel. » Il éclate de rire à ce souvenir. « J’aimerais faire tomber les clichés. Tous les jeunes de banlieue ne feront pas nécessairement un BEP ou un CAP. Ils ont aussi le droit d’avoir d’autres ambitions. Il ne faut pas parler de mixité et d’intégration seulement lors de la Coupe du monde de football. »
Après vingt minutes de questions-réponses, je dois céder la place aux autres journalistes. Il signe un autographe et enchaîne sur une autre interview. J’entends qu’il répond aux mêmes questions, toujours avec le sourire. Des banlieues au 16ème arrondissement de Paris, c’est ça aussi, la vie d’un « Senegalo Ruskov Molotov ».