Odezenne : « Des mecs qui chantent en français »

La rédaction
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Durée de lecture : 13 minutes

Du rap ? Un son électro ? De la chanson ? Alors que la presse tente toujours de définir la musique de Mattia, Jaco et Alix, le trio trace son chemin en faisant bouger des têtes qui se soucient guère de ces catégories. Entretien tout terrain pour retracer l’itinéraire d’un groupe qui s’autorise à partir dans toutes les directions.

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« On n’a jamais vraiment cherché à être un groupe de musique », lâche Alix, bonnet noir vissé sur la tête, au sortir de la sieste. « Odezenne, c’était le nom de notre ancienne proviseure, on l’a utilisé dans un freestyle, ça nous a fait marrer, on l’a gardé », se souvient le chanteur que l’anecdote fait toujours sourire. Et pourtant, malgré cette décontraction d’apparence, les trois compères passionnés remplissent aujourd’hui les salles et leur dernier album, Dolziger Str. 2 est salué par la critique. cafébabel a discuté de ce parcours avec une molécule autonome d’Odezenne à quelques heures de leur passage sur la scène du festival Chorus devant une foule de gens. Yeah man.

cafébabel : Quand vous avez débarqué dans le paysage musical français, on a dit de vous que vous cassiez les codes du rap. C’est ce que vous cherchez à faire ?

Alix : Non, les gens n’ont pas la même vision de notre musique que nous, car, eux, ils la prennent en pleine gueule. Ils ont besoin de comparer avec des choses qu’ils ont entendues et raisonnent avec des vieilles catégories, mais je pense que c’est en train de changer parce qu’avant, t’allais chercher des CDs dans des bacs classés par genre, maintenant, avec Internet, t’as juste à taper le nom du groupe. Dans le futur, j’espère qu’on dira que c’est du Odezenne, des mecs qui chantent en français et explorent des trucs. Après, je n’ai aucun mal à entendre que « Tu Pu Du Cu » est un morceau hip hop, mais il faudra qu’on m’explique comment on peut dire que « Cabriolet » ou « Bouche à lèvre », c’est du rap. En fait, ce qui est sûr, c’est qu’on aime bien pousser les choses, on part d’une feuille blanche et on se laisse porter par ce qu’on a vu ou écouté la veille et on va chercher un peu plus loin que ce qui tombe.

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cafébabel : Si votre musique est si éclectique, c’est aussi sûrement parce que vous avez des influences très variées.

Alix : Ouais, on écoute des trucs très différents. Moi, j’ai commencé à aimer la musique avec le rock des années 1970, tous les mecs qui étaient programmés à Woodstock. Ça m’a emmené à Jim Morrison, à Jimmy Hendrix. Du coup, après, ça a bifurqué vers le blues, ensuite ça a dérapé vers le jazz, puis je suis arrivé vers le jazz hip hop avec des mecs comme Madlib ou MF Doom qui samplaient des gros jazzeux. Du coup, je suis tombé comme ça dans le rap un peu expérimental ou plus ancien comme A Tribe Called Quest et à partir de là, je me suis intéressé au rap français. J’ai découvert la Rumeur avec l’Ombre sur la mesure, mais aussi Oxmo, Time Bomb, tous ces mecs-là. Et ça m’a emmené à la chanson française et donc à Gainsbourg. Et à côté de ça, j’ai commencé à écouter les Beatles et puis les Floyd, mais aussi de la musique beaucoup plus moderne comme Death Grips, des mecs qui sont sur des labels un peu expérimentaux. Mais c’est le parcours musical de plein de gens, je pense, il n’y a rien de très original. Ça navigue, j’aime bien quand la musique m’emporte. Hier, j’ai découvert un mec qui s’appelle Omar Souleyman, je ne connaissais pas et je l’ai écouté toute la journée. En fait, quand il y a de la musique, je suis toujours en train de demander : « Qu’est-ce que c’est ? », d’être là avec mon téléphone pour shazamer, je suis super curieux.

cafébabel : Dans ce nouvel album, Dotziger str. 2, on sent clairement une évolution de votre son. C’était voulu ?

Alix : C’est vrai, mais ça avait déjà commencé avec l’EP Rien. En effet, si tu écoutes le premier album, Sans Chantilly, et celui-ci, t’as l’impression qu’il te manque deux albums pour comprendre. Mais pour nous, ça s’est fait comme une suite logique. On a commencé à écrire les chansons de Sans Chantilly en 2006-2007 et on est parti à Berlin en 2014 pour Dolziger. Donc, c’est sûr qu’en huit ans t’évolues un peu, tu trouves d’autres repères, t’as d’autres ambitions, mais ce n’est rien de forcé. On ne s’est pas levé un matin en se disant « faisons table rase ». On a vraiment l’impression d’être dans une continuité et d’emmener notre musique vers là où on a envie, de la dompter un peu, car ce n’est pas inné pour nous.

cafébabel : Et comment vous y prenez-vous ?

Alix : Sur cet album, on a exclusivement écrit sur la musique, sauf pour le morceau « Souffle le vent ». Tous les autres, c’est Mattia qui nous passait des bouts de mélodie, on lui rendait, il nous le renvoyait, on lui renvoyait… C’est beaucoup d’allers-retours en fait.

cafébabel : Ca se sent beaucoup sur un titre comme « Vodka ».

Alix : Oui, grave ! « Vodka », c’est Jaco qui me faisait écouter des trucs qu’il avait écrits et puis en fin de session, il me dit : « J’ai aussi écrit ça, mais c’est une blague ». Et j’ai adoré. Donc il m’a expliqué les contraintes d’écriture qu’il avait mises dedans, les rimes et tout, puis on a commencé à en écrire plein et ensuite, on a tout découpé. On avait une trentaine de vers chacun sur la table et on a composé comme ça, en mélangeant des bouts des siens avec les miens. Dolziger, c’est aussi la première fois qu’on fait ça, qu’on s’invite dans le texte de l’autre à ce point-là.

cafébabel : Le thème du sexe est toujours aussi présent que sur vos autres opus. Pourquoi ?

Alix : Je ne sais pas si c’est le thème du sexe qui revient souvent ou si ce n’est pas simplement le fait que nos chansons sont sexuées, tu vois ? C’est jamais frontal, à part « Je veux te baiser » qui est volontairement rentre-dedans, mais pour tous les autres morceaux, il y a une tension sexuelle sous-jacente comme dans « Bouche à lèvre » ou « Cabriolet ». Pourquoi ? Je ne sais pas, c’est juste que souvent quand on écrit, les femmes nous inspirent et que du coup probablement ça se traduit comme ça dans les textes. Mais je ne pense pas qu’on focalise plus sur ça que sur la vie, la mort, les déceptions, le courage, la vieillesse… Après, j’ai l’impression que c’est quelque chose que les gens remarquent plus que le reste. Dans une interview à Konbini, Akhenaton avait dit qu’on était en train de prendre la tribune des musiques qui parlent des rapports homme-femme. C’est plus ça, tu vois. Ce n’est pas le cul pour le cul. Souvent, il est question des rapports homme-femme dans nos chansons et donc la sexualité n’est jamais très loin.https://web.archive.org/web/20160921103206/http://www.konbini.com/fr/entertainment-2/video-nouvelle-scene-rap-francais-vue-par-akhenaton/

cafébabel : En revanche, il y a une ambiance un peu plus profonde, plus sombre que sur les précédents albums. C’est voulu ?

Alix : C’est sûr qu’à part «Vodka » avec sa fausse légèreté, il n’y a pas de morceau un peu récréatif comme « Tu Pu Du Cu » ou « Je veux te baiser ». Ce qui est bizarre, car l’album ne s’est pas du tout fait dans une mauvaise ambiance. On est parti à Berlin et pendant deux mois, on a eu beaucoup de mal à se trouver. Puis pour rigoler, on a fait  « La Bûche » pour Noël et ça a tout débloqué. Ça a vachement désacralisé ce qu’on était en train de faire et on a accouché de cet album super rapidement. Mais c’est vrai que les morceaux sont un peu plombant, je ne vais pas dire le contraire, mais en même temps plein d’espoir. Enfin, j’espère que ce n’est pas un disque pessimiste.

cafébabel : Non, mais un peu froid.

Alix : C’est vrai et pourtant les gens font grave la fête pendant nos concerts !

cafébabel : Le passage sur scène, c’est un moment que tu apprécies ?

Alix : Au début, pas du tout. Je vomissais tout le temps. Bah ouais, c’est bizarre comme truc, surtout qu’à la base, je n’ai jamais vraiment voulu avoir de groupe de musique, j’ai jamais fait de théâtre, je n’aime pas être en avant, quand il y a une soirée, je suis plutôt tranquille dans mon coin. Là, tu montes sur une scène et il y a 4, 5, 10, 1000 personnes qui attendent quelque chose de toi et il faut y aller… Le rapport de force n’est pas du tout équilibré. Ce n’est pas naturel, il faut un peu se faire violence. Mais maintenant, j’aime bien.

cafébabel : J’ai entendu dire que du coup, vous picoliez pas mal avant de monter sur scène.

Alix : Un peu, ouais. C’est basique, mais ça désinhibe. Monter complètement à jeun sur scène, je ne l’ai jamais fait. Et je pense que je suis incapable de le faire. J’ai tout de même un peu moins peur aujourd’hui qu’avant, car maintenant, on a un public. T’as même pas commencé à chanter que les gens sont déjà en train de t’acclamer. Ça t’aide quand même.

cafébabel : Justement, de passer du statut petit groupe indé autoproduit, à celui du groupe à succès encensé par les médias, ça a changé quelque chose pour vous ?

Alix : C’est relatif en fait. Ce que tu dis est vrai, mais on ne fait pas non plus la tournée des Zeniths. Et on ne passe pas à la radio, car ils trouvent que le format ne convient pas : on n’est pas assez Rock pour Ouï FM, pas assez rap pour Skyrock, pas assez pop pour Virgin… Notre succès est plutôt dû au bouche à oreille. Il y a beaucoup de travail derrière pour continuer à animer tout ça, donc on n’est pas déconnecté ou quoi que ce soit. Tous les gens qui viennent nous voir, ils sont là parce qu’on les a invités en quelque sorte. On n’a pas ce truc où on tabasse en radio et du coup, tu remplis les salles d’un coup avec des gens qui viennent un peu pour voir. Tout ça s’est fait petit à petit : on a fait des salles vides, des salles un peu moins vides, des salles encore un peu moins vides, des salles à moitié pleine, des salles presque pleines…

cafébabel : Et le prochain objectif c’est quoi ?

Alix : Les garder pleines !

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