C’est une semaine importante pour l’euro. Hier, le Premier ministre grec Papandréou a rencontré Angela Merkel à Berlin. Ce jeudi le plan de sauvetage élargi doit être adopté par le Fonds européen de stabilité financière (FESF) en Allemagne. La crise financière met à mal l’amitié traditionnelle entre les pays de l’UE. Pour beaucoup de Grecs, le nom de la chancelière allemande est devenu une insulte.
Un supermarché de Voula, dans la banlieue d’Athènes. La caissière rend la monnaie à une cliente. Mais quelque chose cloche, semble-t-il. La cliente, une Allemande à l’accent caractéristique, proteste. Il manque un euro. S’ensuit un échange verbal à la fin duquel la cliente renonce à l’euro et quitte les lieux, ulcérée. « Merkel », lance la caissière.
« Merkel » toi-même
Pour beaucoup de Grecs, le nom de la chancelière allemande est devenu une insulte. En Grèce, Angela Merkel est la figure politique allemande la plus célèbre, mais aussi la plus impopulaire : presque 84% des Grecs interrogés ont une opinion négative de la chancelière. Et cette image médiocre fait tache d’huile : en 2005 l’Allemagne était encore le pays préféré de 78% des Grecs, contre 29% seulement aujourd’hui. La crise de la dette est venue s’immiscer entre les Allemands et les Grecs, détruisant ainsi une vieille amitié.
Le pays est au bord de la faillite, et pour beaucoup de Grecs ce n’est pas seulement la faute de leur gouvernement et du marché impitoyable de la finance, mais aussi celle d’Angela Merkel. L’idée est que la chancelière aurait sans cesse repoussé, pour des raisons liées à l’opinion publique et à la presse populaire, l’échéance des promesses d’aide à la Grèce, ce qui aurait aggravé la crise. « Merkel ne pense qu’à l’intérêt national de l’Allemagne, elle ne comprend pas l’Europe », affirme Aliki Apostolatou, une jeune Athénienne de 23 ans. Selon elle, ça colle bien avec les origines d’Angela Merkel, l’ex-RDA. Cette étudiante en art envisageait de passer deux semestres à Munich, mais en fin de compte elle s’est décidée pour Paris. « Là-bas je me sentirai mieux acceptée », déclare-t-elle.
Les diplomates grecs sont étonnamment muets quand on aborde le sujet de la relation entre Grèce et Allemagne. Réponse d’un diplomate à la question : « Comment décririez-vous la relation personnelle entre Papandréou et Merkel ? » – « Elle doit être bonne. » Espoir ou ironie ? De nombreux Grecs qui souffrent de l’humiliante crise financière de leur pays se sentent en plus rabaissés par Angela Merkel. Par exemple quand la chancelière a exigé que soit retiré à la Grèce son droit de vote au sein de l’UE. Ou quand elle a déploré que les Grecs aient « tant de vacances », alors que les Allemands « travaillaient tant ». En réalité selon les études européennes, les Allemands ont 30 jours de congé annuels, contre 23 seulement pour les Grecs. Et pendant que les Allemands se vantent de travailler en moyenne 37,4 heures par semaine, en Grèce ce sont 40 heures hebdomadaires.
Merkel, entre croix gammée, uniforme SS et femelle vampire
Les médias aussi ont contribué à mettre les relations entre les deux pays à rude épreuve. Un grand journal populaire allemand, le Bild, exhortait les Grecs à vendre leurs îles – « et l’Acropole avec ! » avant d’appeler à une aide au crédit. Un magazine munichois, Focus, a dénoncé les Hellènes comme « les escrocs de la famille euro » et constaté non sans malveillance un « déclin de la Grèce depuis 2000 ans » qui reléguait le pays dans l’arrière-cour de l’Europe. Le tout accompagné d’une image de la Vénus de Milo faisant un doigt d’honneur. Le journal grec Ethnos s’est vengé avec un photomontage montrant une croix gammée sur la Siegessaüle (Colonne de la Victoire) à Berlin. Le journal Proto Thema a caricaturé Merkel en uniforme de SS, la main levée pour faire le salut hitlérien. Un dessinateur humoristique du journal To Vima a fait de la chancelière une femelle vampire suceuse de sang.
On ne s’aime plus, on ne fait plus attention l’un à l’autre, mais on a besoin l’un de l’autre. L’amitié germano-grecque est devenue une alliance contre le destin. Les Grecs se disent que le destin de leur pays ne sera bientôt plus décidé à Athènes, mais à Berlin. Et c’est là que le surnom de Spree-Athen (« Athènes sur la Spree ») de la capitale allemande prend un nouveau sens.