Le 7 juin, la Biennale d’art contemporain de Venise a inauguré le ‘Paradis Perdu’, premier pavillon consacré à la culture rom. L’apogée du kitsch gitan ?
Timea Junghaus, la conservatrice du pavillon consacré à l’art rom, arrive haletante pour notre interview et s’assoit, essoufflée, avec plus d’une heure de retard à la terrasse d’un café vénitien. « Ahh, ces artistes ! ,» nous lance t-elle en guise d’excuse. Junghaus confie d’emblée avoir passé une grande partie de la nuit à aider l’un d’entre eux à faire face une dépression nerveuse. Mais les artistes n’ont pas été les seuls à lui causer du souci lors de la mise en place du tout premier pavillon Rom. « Au début, l’organisation de la Biennale hésitait à avoir un stand à part consacré aux artistes roms.
Normalement, les pavillons sont basés sur les nationalités, comme le pavillon français ou italien. Au départ, les responsables de la Biennale m’ont prise pour une féministe pure et dure et pasionaria hargneuses des minorités. » Pour autant, l’amitié que Junghaus entretient avec la ministre italienne des Affaires européennes Emma Bonino ou le président de la Commission, José Manuel Durão Barroso, l’a probablement aidée à obtenir gain de cause. Elle a fini par gagner l’autorisation de la Biennale.
Les Roms existent
Hébergé dans le Palazzo Pisani datant du 16ème siècle, le pavillon Rom rassemble seize artistes gitans venus de huit pays européens. Si tous ne parlent pas la même langue, ils n’ont pas non plus les mêmes références artistiques. « Nous sommes le premier vrai pavillon européen », dit Junghaus fièrement.
A l’intérieur se trouvent des peintures, des vidéos et des installations, comme cette jupe rom noire attachée au mur avec des couteaux, ressemblant de loin à un papillon épinglé. « En dépit de leur diversité, il est facile de trouver des similarités dans le travail des artistes », explique Junghaus.
« Tous ont ainsi souffert de traumatismes sérieux dûs à leur statut de minorités. Le point commun de leurs travaux : ils sont soit une forme de thérapie, soit de vengeance ». Exemple flagrant : un écran diffuse un petit film ur lequel une jeune femme hongroise répond à la question de savoir si elle a des problèmes avec les Roms. « Un seul. Ils existent ».
Pas un gitan traditionnel
Un peu plus loin, un artiste Rom danse au son de ses collègues qui tapent des mains. Il s’appelle Gabi Jiménez – ou François Lopez, selon le lieu ou si c’est sa mère qui remplit les papiers. « Je vais là où le vent me porte, là où les policiers et les tribunaux me mettent », répond-il quand on lui demande d’où il vient. Ses œuvres elles, ne laissent aucune place au doute. « Je ne suis définitivement pas un artiste gitan traditionnel », affirme Jiménez.
Devant ses peintures joyeusement colorées qui couvrent les murs, il gesticule en tentant d’expliquer leur signification. Sur ses toiles, des élèments typiquement gitans comme des caravanes ou des gens qui jouent de la guitare. « Vous, vous voyez des caravanes, » s’enflamme t-il. « Moi, je vois de simples images identifiables qui montrent les aspects positifs de la vie des Roms. Je montre la joie, là où d’autres ne voient que la pauvreté, les stéréotypes. »
« Grande culture »
« Personnellement, je vois ce pavillon Rom comme une prise de position politique contre le racisme », poursuit Junghaus. « Néanmoins, certains artistes ne veulent pas y participer. Car cette implication pourrait leur valoir des sanctions une fois de retour chez eux. Le but de cette exposition est d’abord et avant tout de donner aux artistes roms l’opportunité de montrer, à leurs propres compatriotes et au reste du monde, que la culture gitane, va au-delà de la musique manouche. Nous sommes en train de créer une grande culture rom. »
Dans une autre pièces du Palazzo, les visiteurs sont assaillis par une charge de chevaux sauvages et de princesses gitanes exotiques. Même la star rom Charlie Chaplin est là. Ces tableaux sont signés par l’artiste hongroise István Szentandrássy que Junghaus a sélectionnés, en dépit des protestations acharnées des avocats de la haute culture tzigane. « C’est ce que les Roms qui ont du pouvoir d’achat accrochent sur leurs murs, » justifie Junghaus. « On appelle cela la ‘rom Pride’. » Beaucoup de critiques d’art qualifieraient ce type de pièce de ‘kitsch gitan’. Peu importe son étiquette, c’est la seule pièce du pavillon qui transporte vraiment le visiteur dans un autre monde.
Vols
Ainsi le pavillon Rom essaie de concilier les intérêts de ceux qui recherchent la reconnaissance d’une ‘grande culture’ gitane et ceux qui aiment l’art rom pour ses éléments exotiques stéréotypés. Mais sont-ils réconciliables ? Les artistes présentés à la Biennale ne semblent en tous cas pas y faire beaucoup attention, ils boivent, dansent toute la nuit. Dans l’assemblée, un homme joue par exemple à faire vigoureusement sortir et entrer son œil de verre.
Personne ne semble déplorer le fait que le soir de l’ouverture, on ait volé des panneaux placés à l’extérieur du Palazzo Pisani. Au contraire disent-ils, c’est plutôt bon signe, au moins quelqu’un aime t-il leur travail.
La plupart des visiteurs quitteront cependant l’exposition sans marchandise volée mais avec plus de questions que de réponses – qu’est ce que l’art rom ? Qui le représente le mieux ? Et doit-il porter un message politique ? Ces questions ne sont pas seulement posées par les visiteurs et c’est d’ailleurs là que réside le succès du tout premier pavillon rom. Il prouve que les Roms et l’art rom existent. Désormais c’est au public de s’en accommoder.
Le Pavillon Rom est situé dans le Palazzo Pisani S. Marina (piano nobile), Venise, Cannaregio 6103, Calle delle Erbe. Il est ouvert au public du 10 juin au 21 novembre 2007