Ses scores aux élections européennes le confirment : l’extrême-droite a le vent en poupe. Une nouvelle génération de militants est arrivée aux responsabilités, et a profondément transformé la manière dont l’ultra-droite fait de la politique.
Ils vendent des CD de fillettes fredonnant la fierté banche pour un public de pré-ados, des jeux vidéos où il faut shooter tout ce qui est basané, des t-shirts aux slogans cryptés. Ils sont Anglais, Roumains, Français ou Suédois. Ils se méfient des médias et créent des agences de presse pour produire et diffuser leur propre information. Gabriele Adinolfi, co-fondateur de Terza Posizione (Italie), l’affirme: “Aujourd’hui le seul moyen d’être fasciste, c’est d’être pragmatique”.
Marketing idéologique
Longtemps infréquentables, les partis “à droite du centre-droit” sont en mutation. Depuis les années 90, l’Union Européenne cherche à lutter contre les phénomènes racistes et xénophobes, harmoniser la législation des pays membres en la matière et renforcer la coopération des polices. En plein essor en France, en Autriche ou en Italie pendant ces années-là, l’extrême-droite a dû faire face aux réactions de l’opinion publique, des médias et du reste de la classe politique. Elle s’est donc adaptée.
Structurée en constellations connectant un parti “vitrine” à une myriade de groupuscules, elle mise désormais sur les circuits de la grande consommation (musique, vêtements, merchandising), et s’appuie sur des réseaux médiatiques à travers toute l’Union. Une stratégie payante : elle est la première force politique chez les 15-30 ans en Hollande, en Autriche ou en Tchéquie, et son influence grandit partout.
La politique autrement
Cette stratégie, c’est la « métapolitique », l’art de faire de la politique sans en avoir l’air. Dans la lignée de penseurs comme Guillaume Faye (Nouvelle Droite française), l’extrême-droite surfe sur l’anti-politiquement correct et l’essoufflement des partis de gouvernement pour proposer de nouveaux espaces d’expression, en marge des circuits officiels. Métapédia, créée en 2007 par de jeunes Suédois sur le modèle de la célèbre encyclopédie collective, rassemble ceux que les modérateurs Wiki ont expulsé de leurs pages.
Elle existe désormais dans 9 pays de l’Union, avec pour ambition d’“influer sur les débats politiques et philosophiques, et sur la manière dont sont présentées la culture et l’histoire”. Altermedia offre dans 17 pays de l’Union une tribune aux différentes mouvances de la droite identitaire (des chrétiens radicaux aux anticapitalistes païens), qui veut disputer à la gauche sa traditionnelle suprématie dans le domaine des idées et de la culture. Sur Metapedia France, c’est Diderot qui accueille le visiteur; sur Metapedia Roumanie, c’est Mihai Eminescu, poète auteur d’un célèbre Empereur et Prolétaire.
“L’extrême-droite s’est décomplexée!”
Jacques Vassieux, conseiller régional F.N. en Rhône-Alpes et responsable national de la cellule “Observatoire et Riposte Internet” au parti de J.-M. Le Pen, a créé Nations Presse en 2008. Le site reçoit 350.000 visites par mois et compte 25 contributeurs dont 2 journalistes professionnels. Il explique : “Bien évidemment que nous sommes “maltraités” sur la toile, comme ailleurs du reste. […] C’est aussi, effectivement, une des raisons qui nous a poussé à créer notre site et [cette] cellule. Ainsi nous pouvons délivrer quotidiennement le contre poison”.
Pour Claudio Lazzaro, auteur du documentaire Nazirock, “l’extrême-droite s’est décomplexée. Elle prend ce dont elle a besoin, et le transforme pour communiquer, sans faire dans la subtilité.” Lui qui préconise le dialogue avec l’extrême-droite tant que celle-ci “ne cherche pas seulement à être légitimée dans ses idéaux fascistes”, trouve “alarmant que fascisme et néofascisme se développent dans deux espaces parallèles, comme s’il s’agissait de choix a priori plutôt que d’une réflexion laïque et rationnelle.”
Une image policée
Noua Dreapta, fer de lance de l’ultra-droite roumaine, n’est pas inscrite comme parti et se présente comme un “mouvement”, manière de refuser la confrontation électorale pour mieux placer ses sympathisants au sein des formations qui s’y prêtent. Le British National Party a troqué les Doc Martens contre des costumes trois pièces, diffuse des guides du bien-parler parmi ses militants, a fait de la place aux femmes pour adoucir son image — et érige le taux de natalité en arme de combat. Cette nouvelle génération de leaders, plus jeunes et éduqués, maîtrise la communication 2.0 et connait bien son public. Les concerts de rock ont remplacé les meetings de papa ; la signature de Project Schoolyard, une série de compilations produites par Panzerfaust Records, est éloquente : “We don’t just entertain racist kids, we create them”.
De son côté la gauche apparaît gênée par ses contradictions
L’UE peine à dépasser les déclarations de bonnes intentions faute de réelle participation des Etats, dont la plupart “continuent à se soustraire à un contrôle au niveau de l’Union de leurs propres politiques et pratiques”, comme le déplore le Rapport 2009 sur la situation des droits fondamentaux dans l’Union. Il faut dire que le socle électoral grandissant de l’ultra-droite intéresse beaucoup la droite traditionnelle, qui n’hésite pas à reprendre ses thèmes de campagne, quand elle ne courtise pas ouvertement ses électeurs. Nicolas Sarkozy a ainsi déclaré, au moment de lui remettre la Légion d’Honneur, qu’il devait son élection à Patrick Buisson, ancien directeur de Minute et co-auteur d’un Album Le Pen (1984). Lors d’une manifestation anti-Prodi de décembre 2006, Silvio Berlusconi, sur scène aux côtés d’Alessandra Mussolini, s’est distingué en embrassant le drapeau d’Alleanza Nazionale, et l’évènement a été clôturé par un concert de rock identitaire et des saluts romains.
De son côté la gauche apparaît gênée par ses contradictions : désormais la championne des classes moyennes et supérieures, elle n’a pas su écouter son électorat traditionnel, aux prises avec les difficultés économiques et les tensions communautaires qui secouent les quartiers populaires. Aujourd’hui, l’épicentre du “renouveau des nationaux” est l’Europe Centrale et Orientale. Peter, militant du NPD en Bavière, conclut : “Il y a dix ans, on était les pauvres cons de nazis, maintenant ce n’est plus aussi mal vu d’être nazi. Qui sait où nous serons dans dix ans?”